Les îles Kerguelen, aussi appelées les îles de la désolation, sont un archipel d’îles françaises situées dans la partie sud de l’océan Indien (49e sud).
J’ai passé 7 mois sur ces îles, pour mon travail, en tant que météorologiste entre 1998 et 1999, pendant l’été austral.
Voici le récit de mon aventure, un poème écrit avec Cheyenne et terminé la veille du départ, dédié à toutes les personnes (famille et amis) avec lesquelles j’étais restée en contact pendant la mission.
Les dés sont jetés, dans un jour on s’tire,
On est trop bien ici, je n’veux pas partir,
Fallait pas venir, fallait pas demander.
Revoir sa famille, ses amis, comment leur expliquer,
Que c’était mieux ici, on ne fait pas semblant,
Retrouver la société, qu’est ce qui nous attend ?
C’est l’histoire de Ninicool qui quitte Ker,
Et qui se dit jusqu’ici tout va bien, on ne risque rien,
Le plus dur ce n’est pas de voir les autres partir,
C’est de partir soi-même sans espoir de revenir.
Partir c’est mourir un peu, je ne sais qui l’a dit,
C’est très vrai, je laisserai là un morceau de ma vie
Elle commence… Gillot airport, île : La Réunion.
Ouf ! Enfin arrivée, quel bonheur ! Vite taxi !
Help ! Vous six, demain superbe éruption.
Spectacle grandiose, fleuve de lave en fusion,
Gé en colère, à mes pieds vide son chaudron,
Du Mont Kapor… « séquence Admiration », merci !
Dix-huit août, jour J, port un, quai deux, le Marion,
Navire océano, Cent vingt mètres de long,
TAAF, terres lointaines, « séquence Destination ».
Les vieux routards des îles font monter la pression,
Récits, aventures, légendes, impressions,
Plus vite Commandant, « séquence Description ».
Vingt heures l’ancre levée, direction Alfred Faure,
Cinq jours de mer calme, escale devant Crozet,
Temps super, découverte des premiers manchots.
Je suis ravie, chants, couleurs, odeurs, tout y est.
Assise dans la manchotière, quart d’heure photos,
Retour sur le bateau pour d’autres moments forts.
Vingt sept, c’est l’aube, au loin mon nouveau domicile,
Noirs sur l’horizon, le Ross, le Pouce, le Crozier,
Autant de noms qui seront très vite familiers,
Bientôt le golfe et PAF, drôle de nom pour une ville.
Surnommées aussi îles de la désolation,
C’est cela les Kerguelen, « séquence Emotion ».
Regardez sur le quai, les Paffiens sont tous là,
Débarquée, embrassée, bousculée, véhiculée.
Rapides les consignes ! Pas le temps de souffler.
Comment fonctionnent ces trucs là ? T’apprendras !
Et celui-là ? Je ne sais pas, on s’en sert pas !
Les anciens sont là pour guider nos premiers pas.
Mamintro, mépré, gener, biosol, disker, EDK,
Popchat, souille, bonbon, GP, pâteux, pacha,
Le sorcier, les copecs, Dieu quel charabia !
Chionis, albatros, cracou, fuli et les skuas,
Jojo, momo, nono, élémentaires ces surnoms !
Oui, mais c’est comme cela. Séquence « réception »
Et le boulot, je suis là pour la Météo.
Lâcher du ballon, y a qu’ça de rigolo,
De l’observation, un peu de climatologie,
Y a des Pc de partout, à moi Synergie !
Trois images satellites, deux cartes de prévi,
Y a des jours ou rien ne colle, cela m’ennuie.
Ouf ! Septembre, je m’en vais compter les choux,
Première manip, sur les cailloux de l’île Guillou.
Puis le chalut dans les quarantièmes rugissants,
Sur « La Curieuse » et ses marins très attachants.
Pluie, vent, froid, neige, c’est rien on a mangé du lion,
Rien ne nous arrête, « Séquence Action ».
A ce jour, les marins sont les plus accueillants,
Avec la flottille, grand carénage du chaland.
Avec les furieux, un peu d’Histoire à Port Couvreux,
Avec les russes, Nasdrovié, on est heureux.
Fin octobre, dans un mois, le Marion revient,
Ecrire aux amis, expliquer ici, c’est pas rien !
Vite, cartes, colis, lettres, timbres, tampons,
Que le temps passe vite, allez dépêche-toi !
Faut que je vous dise aussi, super la photo,
Eléphants de mer, albatros, manchots royaux,
Vivent la liberté, autour d’eux aucun trublion,,
Les approcher… le bonheur « Séquence Passion ».
Et voilà novembre, départ du Marion, grande émotion.
Pas de manips, des amis partis, un moral à la con,
Mois difficile repartir à zéro, avec des nouveaux,
Comment faire pour bien accueillir ces zigottos ?
Heureusement, parmi eux, des musiciens déchaînés,
Qui tous les soirs mettent le feu au quartier.
Dommage, décembre ils s’en retourneront.
C’est les campagnes d’été, courte mission,
C’était un mois de folie, mais déjà c’est fini.
Viennent de repartir avec plein d’affreux touristes,
Venus de partout, fringués comme des nordistes,
Que venez vous faire ici, chez nous, dans notre vie.
Novembre aussi, rabattage des moutons,
Sur l’île longue… longue… si longue… trop longue !
Quelle journée ! Un canasson sur moi a marché,
Mais au retour, un plaisir toujours renouvelé,
Arabesques des dauphins Commerson dans la houle,
Ensuite Australia… à la pêche aux moules.
C’est janvier, pour le plaisir mois bricolage,
Laver, poncer, cirer, vernir, beaux les babys,
Peindre les joueurs, couleurs Marseille, Paris,
Poser et remplir les joints de carrelage,
Hou ! Les éléphants roses, chouettes ces produits!
Un peu plus de colle et je m’envole… Youpi !
Y a Les toul’ temps de Totoche Bar, faut les voir,
Un indien poète, génie bricoleur, rêveur,
Un ch’ti mécano, pêcheur à toute heure,
Un marin heureux, la retraite après ce dernier quart,
Et moi Nini, au milieu, je me marre, je me marre !
Je joue au baby ou encore au billard.
On refait le monde, la base, les TAAF et tout et tout !
On parle de nous, de vous, des sujets tabous,
Rencontres, amitiés, fêtes, font partie de la vie de Ker,
Ensemble, chercheurs, cnes, réu et militaires.
C’est un paradis, avec abolition des frontières
Quand on veut, on peut vivre d’une autre manière.
Grain moyen, grain fin, pré-polish, polish,
Ramassage, triage, polissage, rinçage,
Et tournez jours et nuits, courageuses godonneuses,
Transformez ces vilains cailloux en semi-précieuses !
Tout un art et beaucoup d’huile de coude,
Sinon de vos godons, la beauté vous boude.
Tout le monde trouve que la base est moche,
C’est vrai que de loin, elle est plutôt cloche,
Mais je m’en fou, chez moi j’ai tout ce que j’aime,
Et puis klaxonner les manchots paumés sur la route,
Slalomer entre les éléphants de mer en déroute,
Faites-vous cela partout ? Tout de même !
Un jour, un mec pas bien s’est fait la malle,
Tous sacs au dos, plus les bateaux, hop ! On cavale,
Fin de la journée, recherche abandonnée,
Lendemain, c’est reparti, au ventre la frayeur,
Retrouvé vite, je peux jouer avec le tracteur,
Ca y est j’ai mon permis, je sais labourer.
La bouffe, on dit resto mais plus une cantine,
Mouton, mouflon, renne, poulet, poisson légine,
J’ai une nageoire caudale, bientôt des ailes,
Parfois l’ambiance n’y est pas sensationnelle.
On se régale pourtant, mais bonjour le régime,
Je préfère manger à la pension de la marine.
Février, départ huit heures, convoi sur Ratmanoff ,
Deux tracteurs, deux remorques, Nini et quatre sous-off.
Je lance, je mouline, mince encore des godons,
Ah non, ça bouge, raté, c’était des poissons.
Adieu la pêche, bonjour photo ! Les manchots m’invitent,
Au voleur ! Les otaries dévorent nos truites.
Aurore Australes, le film récent de notre ciel,
Et tout à coup la voûte étoilée s’embrase, superbe,
Feux follets, laser, plus beau qu’un arc-en-ciel.
Vous décrire ce spectacle, je n’ai pas le verbe,
J’ai regardé des heures ce ballet des fées d’Orion,
Je ne m’en lassais pas « Séquence admiration »
Ultimes frissons dans le Nord, Port Christmas,
L’arche effondrée, seuls deux pieds, ceux du géant Atlas.
Surprise ! Dauphins et baleines en même temps,
Nous font fête autour du petit bateau blanc.
Au loin, les crêtes sombres au soleil couchant,
Derrière, la lune pleine baigne ses reflets d’argent.
Ha mes amis ! J’ai fait ici des choses étranges,
Avec l’mamintro, mesure des choux de Ker
Avec l’ichtyo, du chalutage en pleine mer,
Avec La Curieuse, navigation hauturière,
Avec le garage, j’ai soudé des bouts de fer,
Vous le verrez, tout cela, ça vous change.
Avec popchat, piégeage des chats, c’est extra !
Les ornitho, crado, pas vu tous les zoziaux,
Avec microbio, filtrer l’eau dans les sites géniaux !
Pour biosol, choper toute bestiole qui rampe, qui vole.
Je démolis, je navigue, je bâtis, je colle,
Plein de choses encore, tout, je n’vous dis pas
Le Marion est au mouillage, paré à virer,
J’hallucine ! Déjà le départ, les Paffiens sur le quai,
Plein d’p’tits gars sympas agitant leur mouchoir,
Seront pas très heureux de nous voir rembarquer,
Z’auront le coeur à l’envers, mais l’feront pas voir,
Voilà, c’est fini. Elle se termine là cette belle histoire.
Vous qui m’avez souvent fait des signes d’amitié,
Sachez le bonheur ressenti de n’avoir pas été oubliée.
Je suis triste de m’en aller, je dois bien l’avouer,
Mais ô combien impatiente de tous vous retrouver,
Merci beaucoup des mots gentils dans votre courrier,
A bientôt, mes amis m’attendent pour le coup de l’étrier.
Merci pour ce magnifique poème qui fait ressurgir une foule de souvenirs. Des sympathiques, d’autres moins. Seuls ceux qui ont vécus ces instants, ces lieux, comprendront la significations de chacun de ces mots. Je me souviendrai toute ma vie. rajouter quelque chose ? Oui, les larmes au moment du départ pour le retour. L’envie de partir et de rester en même temps.
Qu’est ce que c’était bien, qu’est ce que c’était beau !
André-jean Télécom, Ker 38.